Hommage des Missions étrangères de Paris
au Père Paul, Gabriel RICHARD
Le Père Paul Richard s’est éteint le vendredi 31 mars 2006 à l’âge de 87 ans à la suite d’une longue période de santé affaiblie marquée par des crises graves entrecoupées par des périodes d’accalmie. Depuis plus de deux ans Paul Richard gardait la chambre à la Maison de retraite Marie Thérèse proche de la Place Denfert Rochereau. C’est là que le Père Eugène Chagny, ancien missionnaire de Chine à Shenyang (Moukden) avait vécu ses derniers mois. Paul Richard était aussi un ancien de Chine, plus précisément de la Mission du Tibet dont la base était située dans la province chinoise du Sichuan à Tatsienlou, ville appelée aujourd’hui Kangding.
Il y a près de trois ans, Paul Richard s’était senti mourir à l’hôpital du Val de Grâce. Le docteur lui toucha alors l’épaule pour le réveiller. Il vit alors la célébration de la messe chinoise sur l’écran de télévision avec les Pères chinois de sa connaissance. Il se sentit revivre!
Paul était hanté par son Jura natal et sa famille de vignerons d’Arbois à laquelle il resta toujours très attaché. Né le 19 octobre 1919, il était le quatrième d’une famille de six garçons. Son frère Pierre aîné avait choisi la voie du sacerdoce. Entré lui-même au séminaire, Paul se sent très proche de ce frère qui partage avec lui son expérience spirituelle. Lors de sa retraite préparatoire à son ordination aux Missions Etrangères de Paris, le supérieur lui annonce une terrible nouvelle : « Pierre a été renversé par une auto, il vient de mourir…voulez-vous rentrer tout de suite en famille ? » Paul répond bravement : « Père je veux absolument être ordonné prêtre demain matin pour le remplacer dans l’Eglise ! Si vous le permettez, je partirai, s’il y a un train, dès la fin de la cérémonie ». Il y aura un train le soir et Paul a le temps de recevoir sa destination : ce sera Kangding, centre de la mission du Tibet.
Ordonné prêtre le 23 avril 1945, Paul doit attendre presque un an avant de pouvoir s’embarquer à Marseille le 23 mars 1946. Il a la joie d’être employé entre temps par son évêque du Jura au service des Mouvements de l’enfance. Animateur enthousiaste des cœurs vaillants et âmes vaillantes, il se prépare au service des jeunes dans les Marches tibétaines. Le jour venu pour le départ, sa famille entière l’accompagne jusque sur le bateau, le Maréchal Joffre, ce qui resserre encore des liens qui resteront toujours très intimes. L’amour de sa mère restera pour lui le plus beau témoignage de ce Dieu amour qu’il voulait faire connaître au bout du monde.
Il lui faudra trois mois pour atteindre sa mission dans la région la plus reculée de Chine. Ce sont trois mois d’initiation progressive à l’Asie et à la Chine : traversée de l’océan indien, escale à Madagascar, escale à Singapour et finalement bref séjour à Saïgon d’où il prend un autre bateau moins confortable pour Hongkong. Puis c’est un nouvel embarquement presque immédiat sur un navire anglais pour Shanghai. Suit la lente remontée en bateau du Fleuve Bleu jusqu’au lointain Chongqing et encore deux jours d’autocar pour atteindre Chengdu. Quelques jours dans le bel évêché aux colonnes pourpre sont réconfortants, mais c’est loin d’être la fin du voyage. Deux jours encore sur une route carrossable pour Ya’an, puis quelques journées en chaise à porteur pour arriver enfin à Kangding où il est reçu par le chef du diocèse Mgr Valentin.
L’évêque se charge de l’initier sans ménagement à la vie locale et lui fait apprendre le chinois avec l’aide du P. Yang, curé chinois du lieu et d’un ancien séminariste M.Yu. Le Tibétain, plus facile à apprendre d’après
Mgr Valentin, sera pour dans quelques années. Les conditions d’apprentissage de la langue sont d’ailleurs primitives faute de textes chinois. Seul un vieux dictionnaire écorné est disponible. Au bout de quelques mois, Paul commence à sortir quelques mots mais il constate bien vite que sa prononciation doit être améliorée. Au cours d’une longue tournée en montagne, il demande à son compagnon de route d’aller lui acheter des mandarines et celui-ci revient avec des œufs!
Ceci n’empêche pas son évêque de lui confier un projet qui lui tient à cœur : ouvrir un petit séminaire. Paul devra aménager une grande maison chinoise à Xinxingchang, au-delà du col de Yangjiakan qu’il faut franchir à 4.000m d’altitude. Ce lieu est proche d’une léproserie tenue par les Franciscaines Missionnaires de Marie et de la paroisse de Moximian desservie par deux Franciscains italiens. Il a la joie d’y célébrer l’eucharistie et de porter le corps du Christ aux lépreux. C’est là que Paul passe les plus belles années de sa mission en Chine en mettant tout son cœur à la formation humaine et spirituelle d’une vingtaine de jeunes.
Lors de l’arrivée des communistes en 1950, on lui demande de renvoyer les enfants chez eux. Il s’y refuse fermement, prétextant qu’on ne pouvait les laisser faire des journées de marche en montagne sans être accompagnés. Mais le jour de la Pentecôte 1951, sa messe se termine brutalement : une foule de parents fait irruption dans l’église. Ils ont été amenés de très loin par des gardes communistes armés avec ordre de venir reprendre leurs enfants. Paul se retrouve dans la solitude et même dans un isolement de plus en plus sévère jusqu’au jour où il reçoit son ordre d’expulsion. A la première halte au pied de la montagne à Luding, lieu devenu célèbre à cause du passage de la Longue Marche de Mao Zedong sur le pont de la rivière Dadu, il est enfermé seul dans une porcherie. Mais au cours de la nuit, une vingtaine de chrétiens forcent le cadenas et lui demandent d’écouter leur confession.
Parvenu à Hongkong au terme d’un voyage pénible et humiliant car les injures pleuvent sur cet « impérialiste étranger », Paul retrouve ses confrères des Missions Etrangères et peut réfléchir avec eux sur l’arrêt brutal de leur mission en Chine et sur les nouvelles perspectives qui s’ouvrent à eux. Le vicaire général Paul Destombes, envoyé de Paris, propose de nouvelles destinations. Paul sera envoyé au Sikkim, une région tibétaine accessible de l’Inde.
Ce nouvel itinéraire lui vaut un séjour de quelques mois à Pondichéry dans l’attente du visa nécessaire pour se rendre au Sikkim. Comme le visa ne vient pas, il reçoit une nouvelle destination pour le Vietnam. Les Chinois y sont nombreux à Cholon près de Saïgon. Paul est heureux de trouver d’abord un poste d’enseignement au Lycée franco-chinois. Deux ans plus tard il voit s’ouvrir à lui un nouvel horizon. Une communauté de religieuses met à sa disposition le vaste bâtiment d’une école qui a servi un moment d’hôpital. Grâce à ses relations et à son esprit d’accueil, il développe une grande école franco-sino-vietnamienne, remplace l’uniforme kaki des élèves par une tenue bleu et blanc et leur fait porter l’insigne de l’école Ste Thérèse. Il emploie une vingtaine de professeurs réfugiés du nord. Ce ne sont pas des chrétiens. Mais il leur offre une instruction hebdomadaire et tous se feront finalement baptiser sauf trois jeunes filles qui préfèrent attendre leur mariage tout en espérant devenir catholiques. Mais, comme autrefois son séminaire en Chine, l’Ecole Ste Thérèse connaît une fin tragique avec l’arrivée des communistes en 1975. Paul doit sauter dans le dernier avion en partance pour Paris.
Une troisième étape de vie missionnaire s’ouvre alors à Paul. Un dominicain l’avertit que l’Association France Terre d’Asile cherche du personnel. Les réfugiés d’Indochine affluent alors en France et il faut les placer en diverses régions de France. Paul entre vite en relation avec les responsables régionaux et s’acquitte de sa tâche avec efficacité et professionnalisme. Il est même envoyé en Thaïlande pour aider à la sélection des réfugiés pour la France au camp de Khao I dang. Ce service d’urgence arrive à son terme dans les premières années 1980.
Que faire ensuite ? La Société des Missions étrangères vient de créer un Service Chine à l’Assemblée générale de 1980. La perspective de renouer avec la Chine enthousiasme Paul. En 1982, il participe à un voyage de Chine en tant que représentant en produits de beauté. Mais sa connaissance de la langue le fait vite repérer et il réalise le rôle qu’il peut jouer dans l’accompagnement des français qui se passionnent pour la Chine. En juin 1983, il ouvre l’Association Relais France-Chine au 124 rue du Bac, un local fourni par les Missions étrangères. Il y accueille des étudiants venus de Chine et répond aux multiples demandes de Français concernés par la Chine.
Son apport est particulièrement significatif en juillet 1987 lorsqu’il accueille à Lyon et à Paris l’évêque de Shanghaï Mgr Jin Luxian, invité en France par son ami le cardinal Decourtray. A l’époque, les religieux français et en particulier les jésuites n’étaient pas près à accueillir cet évêque ‘constitutionnel’ qu’ils soupçonnaient de connivence avec le Parti. Ils ont depuis reconnu l’apport considérable de cet évêque à l’ouverture au monde de l’Eglise de Chine.
Mgr Jin Luxian, quant à lui, demeure profondément reconnaissant de l’accueil que lui réserva le P. Paul Richard en un moment difficile. A la nouvelle du décès du P. Richard, il nous a écrit un long facsimile dont nous citons ces passages : « La nouvelle du décès du Rev. P. Paul Richard MEP m’a profondément attristé. Je perds un grand ami sur cette terre. J’ai connu le père il y a 20 ans. L’an 1986 il est venu à Sheshan pour me voir. Envoyé par le feu cardinal Albert Decourtray, il avait la charge de préparer mon voyage en France. Le voyage s’annonçait difficile…Rév. Père Richard a lutté contre l’opposition et surmonté toutes les difficultés…Depuis nous sommes devenus bons amis, il m’a envoyé beaucoup de livres et des revues pour notre Guangqi Press. Il a été notre grand bienfaiteur. Le Père a été un modèle des missionnaires. Il aimait la Chine, le Vietnam ; en France il a continué à aider les missions et surtout les réfugiés. Je suis sûr que Notre Seigneur l’attendait au seuil du paradis et l’introduisait au sein de la Sainte Trinité. Oui, sur cette terre je perds un ami, mais au ciel j’ai un patron et un avocat. Il nous aidera davantage".
Père J. Charbonnier (MEP)